« Et maintenant on va voir s’ils auront le courage d’arrêter le chef de l’opposition… » : ces propos prêtés à Berlusconi par « La Repubblica » [[29/09/2013]] résument parfaitement la stratégie du Caïman. Berlusconi les aurait prononcés hier en fin d’après-midi après avoir forcé ses ministres à démissionner du gouvernement Letta. Une décision prise en petit comité, celui des « faucons » du PDL, et en dehors de la présence du secrétaire du parti et chef de file des ministres berlusconiens, Angelino Alfano. Officiellement la démission est motivée par la politique fiscale du gouvernement de « grande coalition » et notamment par l’augmentation prévue de la TVA (pourtant provoquée par l’attitude de l’aile berlusconienne du gouvernement), mais personne n’est dupe. Berlusconi a déclenché une crise politique sans précédent pour des raisons strictement personnelles. Entré en politique, il y a deux décennies, pour se protéger de la justice et prémunir ses intérêts, le Cavaliere a conduit toute sa carrière sous le même enseigne. Il la parachève de la même manière.
« Le Caïman », le film de Nanni Moretti, sorti en 2006 et qui voyait le protagoniste principal provoquer le chaos après une décision de justice le condamnant, n’a jamais été aussi prophétique. Depuis qu’il a été définitivement condamné pour fraude fiscale par la Cour de Cassation, le 1er août dernier, Berlusconi a tout tenté pour éviter l’application de la loi (non pas la peine de prison qu’il n’effectuera de toute façon pas en raison de son âge), et en particulier la déchéance politique, découlant de sa condamnation, et qui doit être prononcée la semaine qui vient par le Parlement. Menaces, chantages, insultes, manœuvres en tous genres jusqu’à l’exigence de démission des parlementaires de son Parti de la Liberté pour en finir avec la démission effective de ses ministres. Le jour même de son anniversaire – il a aujourd’hui 77 ans – l’homme qui depuis vingt ans représente l’anomalie démocratique en Europe s’offre la crise politique sans doute la plus grave de l’histoire de la deuxième république italienne. Son pouvoir de nuisance n’a jamais été aussi fort et, en cas d’élections anticipées, rien ne permet d’exclure sinon une victoire, au moins des résultats favorables…
Mais les risques que prend Berlusconi ne pèsent pas que sur le pays, ils peuvent aussi mettre en cause son propre parti. Son influence personnelle est encore assez forte pour imposer la démission à des ministres qui, de fait, n’en voulaient pas. Mais dans les rangs parlementaires, la révolte gronde chez un nombre important de députés et de sénateurs peu pressés d’affronter les électeurs après une crise dont ils porteraient inévitablement la responsabilité. Il n’est donc pas impossible que le gouvernement Letta obtienne encore la confiance qu’il compte demander cette semaine au Parlement (pour rappel, le centre gauche est majoritaire à la Chambre mais pas au Sénat). D’autant qu’il pourrait compter sur quelques dissidents des Cinque Stelle même si le parti de Grillo est lui aussi, comme Berlusconi, pour des élections anticipées immédiates. Confiance, gouvernement minoritaire, ou nouvelle équipe avec des dissidents du centre-droit ou finalement élections anticipées ?
Tout est possible même si le premier ministre comme le Président Napolitano feront tout pour éviter cette dernière hypothèse. La fragilité politique n’épargne évidemment pas le centre-gauche enfermé dans la logique de la « grande coalition » et sa politique d’austérité « à l’européenne » mais aussi toujours en proie à des rivalités personnelles internes qui ne dégagent pas de véritable projet politique. Dans ces conditions, aucune alternative ne se profile aujourd’hui en Italie et seule la menace du chaos hante les esprits…