Une petite devinette, qui a dit : « Je pense que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières prêtes au combat. Si le peuple (…) permet un jour que des banques privées contrôlent sa monnaie, les banques et toutes les institutions qui fleuriront autour des banques priveront les gens de toute possession, d’abord par l’inflation, ensuite par la récession jusqu’au jour où leurs enfants se réveilleront sans maison et sans toit sur la terre que leurs parents ont conquise ». Ces mots ont été prononcés en 1802 par Thomas Jefferson, le troisième président des États-Unis. Étonnant et prémonitoire, non ?
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, les deux sociologues de la richesse et de la bourgeoisie, ont retrouvé ce texte pour leur court mais percutant ouvrage L’ Argent sans foi ni loi publié récemment dans l’excellente collection « Conversations pour demain » chez Textuel. Au centre de ce petit livre, la question de la nature sociale de l’argent et plus précisément de sa dénaturation. Car à l’origine on peut considérer que l’argent est une sorte de bien public, il sert à l’échange de produits entre les individus et de ce point de vue, on peut même considérer qu’il est créateur de lien social. Au fil des siècles et du développement du capitalisme, l’argent est non seulement devenu le symbole universel de la réussite personnelle, voire la valeur suprême de l’existence au-delà des lois et de la morale mais l’argent est aussi devenu une arme dans une guerre de classe. Sa répartition est naturellement la plus inégalitaire que l’on puisse imaginer et dans cette guerre, les nantis accumulent des sommes astronomiques alors que des millions d’Européens – pour ne parler que d’eux – vivent sous le seuil de pauvreté. Les Pinçon-Charlot analysent précisément cette coupure entre l’argent et le corps social, symptôme de cette phase néolibérale et spéculative du système capitaliste que nous vivons aujourd’hui. Et ils démontent les mécanismes grâce auxquels « une petite oligarchie s’attribue l’essentiel des revenus de la finance, qui est un argent qui « travaille » tout seul : grâce aux dividendes, intérêts, bonus, coupons, plus-values de cession, l’argent comme par miracle génère de l’argent », écrivent-ils. Naturellement derrière ce miracle se cachent, entre autres, la spéculation, la dérégulation des marchés, l’exil et la fraude fiscale sans oublier le dumping social.
Dans cet ouvrage, les deux sociologues évoquent bien d’autres questions dont celles de l’idéologie de l’argent véhiculée par les médias et ils plaident pour que l’argent redevienne « l’humble serviteur irriguant tout le corps social, au lieu d’être l’instrument de la domination entre les classes et les peuples ». En précisant, tout de même, que « pour ouvrir cette voie, c’est d’une révolution que les peuples ont besoin ». A bon entendeur, salut…Salut et Fraternité, bien entendu !