Hervé Kempf le précise : il n’a jamais été marxiste et, écrit-il, « s’il faut absolument une étiquette, va pour écologiste » (du point de vue des idées, s’entend, pas comme appartenance politique). D’ailleurs Hervé Kempf n’est pas un propagandiste mais un journaliste (économique) du très respectable quotidien « Le Monde », qui, comme on le sait, n’est plus depuis longtemps le repère que quelques nostalgiques du gauchisme soixante huitard.
Mais cela n’empêche pas Kempf de publier au Seuil (collection L’histoire immédiate) un court livre passionnant au titre sans équivoque : « Pour sauver la planète, sortez du capitalisme ». Ce n’est pas un ouvrage théorique même s’il s’appuie sur des analyses scientifiques indiscutables mais plutôt un récit émaillé d’exemples très concrets recueillis au fil des reportages consacrés à l’économie, à l’énergie ou aux questions climatiques. Un ouvrage qui prolonge son livre précédent, « Comment les riches détruisent la planète » et que l’on pourrait situer dans la filiation d’une pensée comme celle de André Gorz. [[ Lire à ce propos le texte posthume et inédit d’André Gorz publié dans la revue Politique ( n°56/ octobre 2008)]]
L’auteur y indiquait déjà « qu’il n’y aura pas de solution à la crise écologique sans remise en cause de l’ordre social ». Et il précise cette fois que « le moment est venu de sortir du capitalisme, en plaçant l’urgence écologique et la justice sociale au centre du projet politique » mais aussi que « le défi politique majeur de la période qui s’annonce est d’opérer la transition vers une société plus juste et en équilibre avec son environnement sans que l’oligarchie détruise la démocratie pour maintenir ses privilèges. », rejoignant ici les préoccupations d’un Emmanuel Todd sur les dangers que le capitalisme fait courir à la démocratie . [[Voir « Après la démocratie », Emmanuel Todd, évoqué dans le Blog-Notes du 20 février 2009.]]
Kempf analyse comment « le capitalisme a changé de régime depuis les années 1980, durant ces trois décennies où une génération a grandi, voyant les inégalités s’envoler, l’économie se criminaliser, la finance s’autonomiser de la production matérielle, et la marchandisation s’étendre à la terre entière » mais aussi comment dans le même temps, « le capitalisme a réussi à imposer totalement son modèle individualiste de représentation et de comportement en marginalisant les logiques collectives qui freinaient jusqu’alors son avancée ». « L’avenir ajoute-t-il n’est pas dans une relance fondée sur la technologie mais dans un nouvel agencement des relations sociales ». Autant d’affirmations aujourd’hui confirmées par le développement des crises dont on ne mesure que le début des dégâts. L’auteur dresse un inventaire cruel mais lucide de l’état du capitalisme, rappelant en passant sa définition par le célèbre bandit Al Capone : « le capitalisme est le racket légitime organisé par la classe dirigeante ». Sur la crise énergétique Kempt n’est pas moins sévère démontrant comment le nucléaire est un leurre contre le changement climatique mais n’hésitant pas non plus à remettre en cause « le mirage de la croissance verte » (les éoliennes qui ne changent pas la donne et les agro carburants aux effets pervers). « Le choix est politique. Car il ne sera pas possible d’aller vers une société de sobriété énergétique sans une politique de redistribution», écrit-il justement.
C’est bien ici que l’on en revient à la question de l’austérité . [[Voir sur le Blog-notes la chronique : « Le mauvais scénario de l’ austérité » du 9 avril dernier]] Les économies d’énergies sont incontournables pour sauver la planète. Elles impliquent une réduction de la consommation et donc un changement de vie quotidienne (à l’encontre de toutes les idées dominantes) mais aussi une politique de redistribution qui module l’effort financier selon les classes de revenus et développe les moyens collectifs que le jeu du marché ne pourra seul assurer ». En ce sens nous pouvons choisir les critères collectifs d’une certaine politique d’austérité plutôt que de se la voir une fois encore imposer au profit du système et d’une minorité. L’austérité comme instrument de changement social, ce n’est pas un paradoxe, ni une provocation. On y reviendra.
Dans les dernières pages de son livre Kempf se demande comment « concevoir le régime dans lequel nous allons nous retrouver au sortir du capitalisme ». Comment « transformer la perspective catastrophique en chance d’avenir ». C’est sans doute la partie la moins convaincante de son ouvrage. Si sa belle proposition d’imposer « un revenu maximal admissible » pour lutter contre les inégalités peut séduire, l’accent quasi unique mis sur la logique coopérative pour transformer la société ne semble pas à la mesure des constats qu’il dresse. Et la question des rapports de force politique permettant cette sortie du capitalisme absente même si ce n’est naturellement pas l’objet central de cet ouvrage. Mais comment ne pas partager la force de son état des lieux et la conviction avec laquelle il s’oppose aux idées reçues qu’en dépit de la crise, la majeure partie du monde politique et médiatique continue de nous asséner.