«Incommode» est un adjectif qui aurait pu convenir pour évoquer François Martou mais l’expression comporte une nuance péjorative, « trublion » est réducteur, «contestataire» trop banal: non, le mot juste est sans doute «dérangeant». Voilà, François Martou était un homme dérangeant, dans le sens où l’on parlait «d’information dérangeante» à l’époque où il était d’ailleurs vice président du conseil d’administration de la RTBF, entre les mille charges qu’il a exercées. «Dérangeant» parce qu’il ne laissait en paix ni ses adversaires, ni ses alliés, ses amis. «Dérangeant» parce que sans cesse dans la remise en question des uns et des autres pour rester fidèle à la grande valeur cardinale qui a été la sienne: l’égalité.
Des premières réunions où je l’ai côtoyé dans le syndicalisme étudiant des années 60 aux derniers articles publiés ces derniers jours à propos des crises, François Martou a conduit toute sa vie au nom du combat pour l’égalité, cette valeur essentielle qui fonde l’identité de la gauche, ou en tous cas qui devrait la fonder. Il était donc forcement et farouchement antilibéral ce qu’avant la crise, les critiques les plus obtus considéraient comme un archaïsme. Martou dérangeait aussi parfois ses propres amis du Mouvement Ouvrier Chrétien par la place qu’il prenait — elle était immense, un peu trop pensaient certains. Et il bousculait ses alliés d’une gauche qu’il ne concevait — jusqu’à l’obsession — que rassemblée, rappelant régulièrement à leur devoir et leurs valeurs ses partenaires sociaux-chrétiens écolos et socialistes.
Et puis François Martou était un homme rare. Chez lui se conjuguait l’intellectuel, l’homme d’action, et l’homme d’appareil. Oui, encore à contre-courant, homme d’appareil dans le sens où il militait contre vents et marées en faveur du rôle des organisations, en en particulier celle qui avait pour mission l’éducation permanente inséparable de la citoyenneté. Il a toujours défendu son mouvement bec et ongles mais il l’a aussi désenclavé des piliers traditionnels.
Orateur, comme on n’en trouve plus sur la scène publique, tonnant, parfois tonitruant, toujours truculent, il détestait les faux semblants et les consensus mou. Chez Martou la parole «idéologie» retrouvait ses lettres de noblesse. À la tribune, dans les petits cénacles et les grandes assemblées ou à table — avec l’humour ravageur et le sens de la formule en prime- il nous a aidés non seulement à aimer la politique mais parfois même à avoir envie d’en faire.