Lorsque la mort tient peu de place dans le cœur
et que le poète et le prolétaire peuvent pareillement humer
le grand œillet du soir,
c’est la paix.
Aucun autre candidat à cette présidentielle n’eut pensé à conclure un meeting par un poème de Yannis Ritsos, comme l’a fait Jean Luc Mélenchon samedi dernier à Marseille. La plupart ignorent sans doute jusqu’à l’existence même du poète grec de toutes les résistances. Depuis le début, Mélenchon fait la meilleure campagne. Le dernier tribun exalte la solidarité, soulève ses partisans et attire les égarés avec des mots empreints d’histoire, de littérature et de philosophie. Nul autre n’oserait. Nul autre ne le pourrait. Cela, on le sait, et depuis longtemps. La grandeur du verbe et son intelligence ne font pas pour autant un candidat crédible. Et pourtant, cette fois, l’alchimie fonctionne. La dynamique s’est déclenchée sans que l’on sache encore où elle s’arrêtera mais, en tous cas, le candidat de la France insoumise a bouleversé la donne. Et déjà il s’impose dans la bataille de la recomposition politique de la gauche (pardon du peuple…). Il faut donc en prendre acte.
Le choix de la raison
En dépit des « mais » et des « si », pour les électeurs de gauche indécis, la voie devrait à présent être tracée. Le choix s’impose. Et même s’il n’est pas celui du cœur et de l’enthousiasme, il est celui de la raison. Sans être électeur français, j’étais parmi ceux qui ont plaidé pour une candidature unique de la gauche (… et du peuple). Les programmes de Hamon et Mélenchon ne sont pas incompatibles même si des divergences sérieuses existent notamment en matière de politique extérieure et européenne. Ce qui naturellement n’est pas négligeable. Pour des raisons stratégiques et politiques déjà longuement exposées,
[[Voir le Blog-Notes « Hamon/Mélenchon de la politique fiction à la real politik 21.02.2017 http://blogs.politique.eu.org/Hamon-Mélenchon-de-la-politique ]]
ce rassemblement n’était pas possible. Par contre, il est incontournable pour les législatives, sauf à laisser le champ libre à la droite et à l’extrême droite et briser toutes les attentes.
Hamon a perdu la partie, trahi par les siens et sans avoir eu le temps de constituer son propre socle politique. Et aussi, parfois, par manque de choix clairs. Mélenchon est devenu le vote de référence à gauche même si lui récuse désormais cette appartenance. Cet abandon (et celui de ses signes extérieurs) alimente d’ailleurs les réticences les plus fortes à l’égard de l’ancien sénateur socialiste. La ligne de partage gauche-droite est constitutive de la démocratie et de la lutte pour une société plus égalitaire. Ceux qui ont voulu ou veulent l’effacer – et ils sont nombreux dans cette campagne – ont souvent connu des aventures idéologiques tragiques.
Au-delà de la personnalisation
Le succès de Mélenchon s’inscrit dans un contexte européen : celui de la crise de la politique en général et celle de la social-démocratie en particulier. Cette fois, le cadre politique qui a conditionné la vie publique depuis 1945 est condamné. La recomposition est aussi souhaitable qu’inexorable. Mélenchon a pris option pour en être l’acteur central en France. En sera t-t-il capable en dépit de sa tendance à la personnalisation à outrance de sa campagne ? Le précédent de 2012 n’incite guère à l’optimisme. Faute de conclure des accords et de les gérer collectivement, le candidat du Front de Gauche avait alors dilapidé en deux temps trois mouvements le capital politique forgé autour de sa candidature. Le contexte a changé, certes. Mais les craintes de ce genre ne sont pas évanouies. A Mélenchon, dès les législatives, de faire la preuve qu’elles ne sont plus d’actualité.
L’extrême personnalisation de ses interventions provoque un sentiment de gêne : Mélenchon interdit bien que l’on scande son nom dans les meetings mais toute la scène, la gestuelle et l’organisation tournent autour d’un seul homme. [[ Par ailleurs, même s’il n’en pas responsable, sur les réseaux sociaux, le ton hagiographique et parfois sectaire de nombreux de ses soutiens hésite entre le grotesque et l’insupportable.]] Les accents chauvins de certains de ses propos, la manifestation d’une laïcité rigide peuvent aussi hérisser. Mais le fait est là, Mélenchon a su trouver les mots et l’accent pour redonner de l’espoir. Ses positions radicales contre un social libéralisme en faillite et une droite agressive en font aujourd’hui le leader incontestable pour les électeurs de gauche. « Mélenchon, malgré tout », diront certains ou même « Mélenchon, hélas », regretteront d’autres. Mais le fait est là : le candidat de la France Insoumise est bien aujourd’hui le vote utile à gauche.