1965- 2017 Histoires de Présidentielles (1. 1965 Le Blasphème et la Cristallisation)

Le 23 avril et le 7 mai prochain se dérouleront donc les deux tours de la Xème élection présidentielle au suffrage universel de la Ve République. Chaque scrutin a sa propre histoire mais tous ressortent de cette alchimie particulière née de la volonté de de Gaulle quand, en 1962, il fait adopter par référendum cette réforme électorale qui va conditionner la vie politique française jusqu’ à ce jour. Certes le modèle s’épuise et plusieurs candidats proposent de passer à la VIème République. Les partis, indispensables machines de guerre pour les candidats, sont en crise mais la personnalisation du scrutin est plus que jamais omniprésente même chez ceux qui en dénoncent les travers. En 1962, le costume avait été taillé sur mesure pour le Général de retour au pouvoir depuis 1958. Et pourtant, dès 1965, pour sa première épreuve, le scrutin au suffrage universel va réserver son lot de surprises.

1965 Le Blasphème et la Cristallisation

Le 9 septembre 1965, De Gaulle tient une conférence de presse dans la salle des fêtes de l’Elysée. Dans ce rituel où il excelle, le Général ironise et laisse planer le doute sur sa candidature pour le scrutin fixé aux 5 et 19 décembre. De Gaulle n’a pas fini de parler que François Mitterrand a déjà annoncé dans un bref communiqué, qu’il serait, lui, candidat à la Présidence de la République contre « le pouvoir personnel ». Depuis 1958, Mitterrand qui a connu une interminable carrière ministérielle sous la IVème République ( et occupé notamment des responsabilités importantes durant la guerre d’Algérie) est cependant devenu l’opposant le plus constant et le plus résolu à De Gaulle. Mais c’est un homme seul, rejeté par une partie importante de la gauche et vilipendé par toute la droite.

« Le plus mauvais candidat possible… »

Le journaliste du Monde, Pierre Viansson Ponté, auteur d’une Histoire de la République gaullienne » résume l’opinion courante quand il écrit « C’est, dit-on, partout ou presque, « le plus mauvais candidat possible ». P. Viansson Ponté, Histoire de la République gaullienne », Robert Laffont, Bouquins, 1971, p.398

Et pourtant, en quelques semaines, l’homme de Jarnac va éliminer rivaux et obstacles, devenir le « candidat unique de la gauche » et mettre De Gaulle en ballotage. Dans un pamphlet brillant et impitoyable,[[ « Le coup d’Etat permanent » François Mitterrand, Le Coup d’Etat permanent », Julliard, 1964]] Mitterrand avait pourfendu le gaullisme et ses institutions. Mais, en même temps, dès 1962, Mitterrand avait été le premier dans l’opposition à comprendre que le nouveau mode de scrutin présidentiel imposait une bipolarisation de la vie politique. Ce qui impliquait impérativement un accord avec le PCF, alors force largement dominante au sein de la gauche.
Gaston Defferre, longtemps candidat à la candidature sous le vocable de « Monsieur X » lancé par « L’Express » de Jean-Jacques Servan Schreiber et Françoise Giroud, s’empêtre dans des négociations impossibles entre centristes, radicaux et la SFIO de Guy Mollet et doit renoncer. Pierre Mendès France conteste le principe même de l’élection présidentielle au suffrage universel et récuse, par avance, un soutien communiste.

La voie est donc libre pour Mitterrand qui obtient sans difficultés (et sans enthousiasme) l’appui de la SFIO qui n’a pas de candidat présentable. Sans rien négocier sur le programme et en gardant les mains libres, le député de la Nièvre emporte celui des Communistes et de leur immense force militante à qui il permet, en échange, de sortir du ghetto politique où ils étaient enfermés depuis le début de la guerre froide. Mais surtout, Mitterrand amorce le processus d’union de la gauche (et de modification des rapports de force au sein de celle-ci) qui prendra encore de longues années avant d’aboutir. Parallèlement, le centre vit une nouvelle jeunesse avec l’irruption de Jean Lecanuet, (trop) vite baptisé le Kennedy français. Tout est en place pour une campagne inédite et riche de surprises.

De Gaulle n’a rien vu venir

En pleine « trente glorieuses », la France s’est considérablement modernisée. Economiquement, socialement, sociologiquement elle a évolué. Elle aspire au changement. Corsetée dans l’univoque grisaille de l’information gaullienne, la télévision va s’ouvrir aux voix de l’opposition. Et, pour la première fois, les sondages font irruption dans la campagne. L’opposition enclenche une véritable dynamique. Les meetings du candidat unique de la gauche retrouvent un enthousiasme perdu depuis des décennies.

De Gaulle, pour sa part, ne condescend pas à faire campagne et n’utilise même pas son temps de parole à la télévision. Pour la première fois, le Général, n’a rien venu venir. Le 5 décembre, au soir du premier tour, le verdict tombe : de Gaulle obtient 44,6 contre 31,7 % à Mitterrand et 15, 6 % à Jean Lecanuet. Le Président est en ballotage. Inimaginable. Le « blasphème » écrit Pierre Viansson Ponté. Mitterrand parle, lui, de « Cristallisation ». [[ Voir Hugues Le Paige, « Mitterrand 1965-1995, La continuité paradoxale », Editions Couleurs Livres, 2eme édition, 2011]]

De Gaulle/Mitterrand : destins croisés

Après un moment de sidération -il songe même à se retirer- de Gaulle, sous l’insistance de Pompidou et de quelques proches, va reprendre l’offensive. Vivement et avec succès, principalement à la télévision.[[ Voir Jean Lacouture, « De Gaulle » 3. Le Souverain, Le Seuil, 1986, p638 sqq]] Mitterrand poursuivra une campagne dynamique et habile. Il sait qu’il ne peut l’emporter mais son destin personnel et l’avenir collectif de la gauche sont en jeu. Pas de surprise le 19 décembre 1965 : Mitterrand obtient 45,49 %. De Gaulle est élu avec 54,5 % des suffrages. Mais ce jour-là, leurs destinées, et celles de leurs camps, se sont croisées. Il y aura encore de nombreux avatars et aventures mais les courbes sont désormais inscrites : descendante pour de Gaulle, montante pour Mitterrand.
Les Français ont adopté l’élection du Président au suffrage universel qui va désormais commander la vie politique de l’hexagone. Jusqu’en 2012, en tous cas, ils ne la déserteront plus et ils conforteront les institutions de la Ve en contribuant à faire du chef de l’Etat, un monarque républicain.

Prochain épisode : 1969, « Blanc Bonnet et bonnet blanc »


Pour mieux comprendre l’histoire, le contexte et l’actualité de la campagne présidentielle, il faut lire le numéro spécial France de Politique : http://politique.eu.org/skeleton/numerospecial/

Ce contenu a été publié dans Blog. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.