Le second tour des primaires du centre-gauche italien a fourni deux vainqueurs. Tout d’abord naturellement, Pierluigi Bersani, le secrétaire général du Parti démocrate qui remporte l’investiture de candidat premier ministre avec un peu plus de 60% des suffrages au détriment de son jeune concurrent et maire de Florence, Matteo Renzi, qui avait bâti sa campagne sur le renouveau générationnel. La victoire prévisible de Bersani qui a bénéficié du soutien des autres candidats évincés au premier tour est ample mais il devra tenir compte – et l’a déjà largement évoqué – de la volonté de changement exprimé par le résultat non négligeable de son jeune rival.
Même si la nature de ce changement reste à définir : elle ne concerne pas que l’âge moyen des dirigeants du parti mais aussi une ligne politique et une stratégie d’alliances dont les termes restent très vagues mais qui peuvent mettre en cause l’identité même du centre gauche. Bersani, le social-démocrate modéré, issu de l’ancien Parti communiste italien défend une conception classique de gestion du système et de la crise. Renzi s’inscrit clairement dans une conception sociale libérale. La collaboration entre ces deux « âmes » du parti (comme on disait jadis) ne sera pas simple.
De plus, Bersani a bénéficié du soutien de Nichi Vendola et de ses électeurs (de gauche) du premier tour. Le dirigeant de Socialisme-Ecologie-Liberté (SEL) avait souhaité sentir désormais un « parfum de gauche » et des engagements précis de la part de Bersani. Ce dernier a dit avoir capté les humeurs et a parlé de convergences sur l’emploi, la précarité et l’école.
Ce rapprochement peut-il se transformer en programme de gouvernement, prochaine étape à laquelle doit s’atteler Bersani avant les législatives du printemps 2013 ?
On a le droit d’être sceptique. On voit mal, en dehors de quelques corrections sociales, un centre gauche se démarquant réellement de l’austérité décidée (avec l’approbation résignée du PD comme du centre-droit) par le gouvernement Monti et s’inscrivant dans la logique obstinée de la Commission européenne. De plus, pour éviter les échecs des précédentes coalitions de centre-gauche (1998 et 2007), Bersani devra construire une coalition qui ne peut plus aller du centre-droit à la gauche (plus ou moins) radicale. Le vainqueur des primaires sort nettement légitimé de l’épreuve mais, pour lui, le plus dur reste à faire : construire un programme et des alliances fortes et cohérentes.
L’autre vainqueur de la consultation ce sont les « primaires » elles-mêmes. Elles sont désormais incontournables et probablement le moins mauvais remède à l’antipolitique. Les primaires initiées par le centre gauche en 2005 font désormais partie de l’identité même du PD (qui le premier a importé le système en Europe). Alors qu’un peu partout le camp des abstentionnistes gagne du terrain, le centre gauche italien réussit l’exploit de mobiliser en une semaine un peu plus de trois millions d’électeurs pour le premier tour et tout juste un peu moins pour le second.
L’image du PD en sort grandie et les derniers sondages lui accordent près de 35 % des intentions de vote pour les prochaines législatives. Face à ce succès, l’incapacité de la droite et du centre-droit (comme en France…) d’organiser une telle consultation ressort avec encore plus de force. Le principe même des primaires prive certes le parti – et ses membres – de l’une de ses prérogatives essentielles : la désignation des candidats aux différentes élections. Mais il est sans doute la réponse à l’évolution de la forme – et à la crise – des partis. Ce sont d’ailleurs les sympathisants ou les simples électeurs du parti ou d’une coalition qui se prononcent.
Avec le PCI, l’Italie a connu le plus fort parti de masse que l’on puisse imaginer avec une participation militante inégalée dans l’histoire politique contemporaine. Pour diverses raisons les héritiers du PCI (PDS-DS-PD) ont abandonné cette forme d’expression politique et le militantisme « territorial » a disparu. Il était d’ailleurs frappant d’entendre, dimanche dernier, l’ancien dirigeant du PCI, Pierluigi Bersani, remercier les «volontaires » (et non plus les « militants ») qui avaient organisé le scrutin.
Désormais ce sont donc les primaires qui donnent la légitimité. On se demande d’ailleurs où s’arrêtera ce système dans l’attribution des candidatures ou des mandats. On a vu lors des dernières élections municipales et régionales que les électeurs savaient utiliser les primaires pour contrer les appareils politiques puisqu’ils ont désigné plusieurs candidats qui n’étaient pas ceux qui avaient la faveur des principaux partis (à Milan, Naples et Palerme, notamment). Le système n’est pas exempt de dérives potentielles et favorise un peu plus la personnalisation de la politique mais dans l’état actuel de la chose publique, il est sans doute le seul à lui offrir un supplément d’âme dont elle a tellement besoin.