Mélenchon : la meute médiatique

Dénigrement, diffamation, diabolisation. Jamais depuis les années trente et les campagnes de l’extrême-droite contre les dirigeants du Front Populaire on n’avait connu un tel acharnement médiatique. Dans le langage qui leur est propre et avec des objectifs politiques qui leur appartiennent, la presse d’extrême-droite comme la presse traditionnelle ont désormais en commun d’organiser le lynchage médiatique de Jean-Luc Mélenchon et de la France Insoumise. Il n’est pas un jour sans que la gauche radicale et son leader ne soient cloués au pilori dans un traitement qui n’est jamais appliqué aux autres forces politiques. La perspective des élections présidentielles n’est évidemment pas étrangère à cette offensive sans précédent. Dans Le Monde Diplomatique, Serge Halimi et Pierre Rimbert rappellent cette phrase de l’éditorialiste du Monde, Françoise Fressoz « Sortir de la crise politique suppose de neutraliser les extrêmes » (31 décembre 2024). [1] Derrière ce qui semble souvent tourner à des règlements de compte personnels, il y a un dessein politique précis : éliminer la gauche radicale qui d’une part est la seule réelle force de contestation du système libéral et qui est, d’autre part, indispensable à une véritable alternance. Qu’on le regrette ou qu’on s’en félicite, la gauche ne peut pas envisager de victoire sans l’apport de la France Insoumise. Toute autre hypothèse reviendrait à mettre au goût du jour une nouvelle version du centrisme social-libéral. C’est bien cet enjeu-là, même s’il n’est pas toujours avoué, qui provoque l’acharnement médiatique.

Cela ne signifie pas que la France Insoumise et son leader ne méritent pas une analyse critique (radicale, elle aussi) quant à son fonctionnement interne, sa manière de mener les débats publics et de traiter ses alliés potentiels (et obligés). Dans un certain nombre de circonstances, le comportement personnel et l’attitude politique de Jean Luc Mélenchon peuvent être légitimement mis en cause.[2] Mais il ne faut pas se voiler la face, le mécanisme de lynchage qui est à l’œuvre va bien au-delà d’un indispensable exercice critique et démocratique à l’encontre d’une formation politique et de son principal dirigeant.

Montage ACRIMED

Il y a d’abord la disproportion qui relève de l’obsession. ACRIMED (Action — Critique-Medias) a relevé les « unes » de la presse française consacrées à Mélenchon au cours de ces derniers mois qui toutes, sans exception, s’inscrivent dans le registre de la stigmatisation. C’est impressionnant et unique dans l’histoire médiatique contemporaine — . [3] Sur les plateaux des chaines en continu, on mange du Mélenchon à tous les repas. Sur BFMTV on décrète que « Les Insoumis sont des spécialistes de l’enfumage et du maquillage de l’antisémitisme » ou on laisse dire au président d’honneur de la LICRA que le LFI est un « mouvement fasciste » alors qu’il compare « Mélenchon à Goebbels. »[4] Mais plus généralement aujourd’hui dans l’ensemble des médias, l’antisémitisme des Insoumis est un fait acquis qui ne demande aucune preuve. Et certains journalistes pressent d’ailleurs leurs invités de souscrire à cette affirmation, s’ils ne l’ont pas fait d’eux-mêmes.

La presse « modérée » n’est pas en reste. Sur France Inter, une humoriste consacre la moitié de ses chroniques au dézingage de LFI. Et les entretiens avec les représentants des Insoumis sont autant de procès à charge. Un peu partout, il est désormais de bon ton de se demander si ce parti est « dangereux pour la démocratie » ou tout simplement de l’affirmer. On ajoute même : plus dangereux que le RN »…

Le sommet est atteint avec la récente médiatisation du livre enquête (à charge) « La Meute »[5]. Ce n’est pas le livre lui-même qui est ici mis en cause,[6] mais la manière dont tous les médias sans exception lui ont déroulé le tapis rouge avec des entretiens qui étaient le plus souvent d’une complaisance complice[7]. La précipitation et l’unanimité des médias en disent beaucoup sur l’état de la presse française, et cela bien au-delà du « cas Mélenchon ». Une presse désormais majoritairement aux mains d’opérateurs économiques qui ont aussi des visées politiques. Qu’il s’agisse du groupe Bolloré, du catholique traditionaliste Pierre-Edouard Stérin[8], du milliardaire Rodolphe Saadé, tous ont des projets politiques à droite et surtout à l’extrême droite. Ils mettent leur empire médiatique (télés, journaux, réseaux sociaux) à son service. Au-delà même de ces titres, cette presse dominante exerce une pression directe ou indirecte (concurrence, marchandisation de l’information, mimétisme) sur la presse traditionnelle qui subit cette influence. Les dérives de l’information ne sont pas neuves,[9] mais un cap a été franchi. Désormais, en France, le pluralisme médiatique est mourant.

[1] Il faut lire à ce sujet « Le parti des médias déjà en campagne » ,Serge Halimi et Pierre Rimbert, Le Monde Diplomatique, juin 2025.

[2] Depuis 2017, dans ce Blog-Notes, je n’ai pas manqué d’exercer cette critique. Et je n’ai jamais oublié d’écrire que certaines provocations déplacées ou dérapages narcissiques de Jean Luc Mélenchon étaient insupportables. Outre le fait qu’elles sont des insultes à sa propre intelligence.

[3] Lire «  Ce que nous dit l’acharnement médiatique contre LFI », Pauline Perrenot, Acrimed, 15 mai 2005, www.acrimed.org

[4] ibidem

[5] « La Meute — Enquête sur la France Insoumise » de Charlotte Belaïche et Olivier Pérou, Flammarion, Paris 2025

[6] Je ne dis rien de l’ouvrage lui-même, car je ne l’ai pas (encore) lu.

[7] Contaminée, la presse belge a comme souvent emboité le pas aux médias français.

[8] exilé fiscal en Belgique depuis 2012

[9] J’en définissais déjà les contours en 1997 dans « Une Minute de silence », Labor, Bruxelles, 1997

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10 réponses à Mélenchon : la meute médiatique

  1. Houdova Eva dit :

    Cher Hugues, merci pour cet appel à la tolérance dans l’adversité. Ton article et la phrase finale « Désormais, en France, le pluralisme médiatique est mourant » est pour moi bien équilibré mais très effrayant et j’espère que les voix françaises des journalistes de la presse écrite vont te suivre pour démontrer le contraire..que le pluralisme médiatique est toujours et pour longtemps vivant, en France, en Belgique et ailleurs..

  2. Ouardia Derriche dit :

    Dire et redire que Mélenchon n’est pas exempt de critiques accrédite deux choses toutes deux problématiques:
    1. Un dirigeant politique se doit d’être à l’abri de toute critique, ce qui est inhumain et ridicule: un dirigeant politique n’est pas et n’a pas à être un Bisounours;
    2. Les autres dirigeants politiques apparaissent alors, parce que moins systématiquement ciblés par le harcèlement médiatique, comme des dirigeants quasi irréprochables, ce qui est loin d’être évidemment le cas.
    Ce que démontre ce différentiel de traitement, et vous ne manquez pas de le souligner, c’est que Mélenchon est le dirigeant de la seule formation politique qui a un programme de véritable changement social et politique, qui mettrait à bas l’ordre établi, lequel fait la part belle aux puissances d’argent et à leurs défenseurs politiques et médiatiques à leur solde. Les accusations diffamatoires contre lui font surtout la démonstration de la peur panique qu’il leur inspire. Et on devrait n’en avoir rien à foutre qu’il soit mauvais coucheur ou colérique.

    1. Verlaine André dit :

      tout à fait d’accord !

  3. Jean Moulin dit :

    Merci Hughes pour cette mise au point absolument indispensable.
    La meute n’est pas du côté de la gauche radicale mais bien chez les « opérateurs économiques » qui contrôlent et dominent les médias. Ils épargnent plutôt le RN, raciste, xénophobe et de facto néolibéral malgré son discours populiste apparemment opposé aux élites, un RN avec lequel certains de ces donneurs de leçon entretiennent d’excellentes relations.
    Certes, JLM n’a pas toujours été d’une rigueur souhaitable dans ses expressions et il s’est laissé aller à des déclarations outrancières voire inacceptables. Mais, pour ne prendre qu’un exemple, le procès en antisémitisme qui lui a été fait est une ignominie. Mélenchon n’est évidemment pas antisémite ! Et il faut reconnaître à JLM et à LFI l’insigne mérite d’avoir sauvé la gauche à plusieurs reprises, alors que les trahisons (le mot est justifié) des sociaux-démocrates du PS (Hollande et Cie) l’avaient menée au bord du gouffre.
    Sur l’expression « gauche radicale » que tu utilises à plusieurs reprises, l’identifiant à la seule LFI, je crois qu’il faudrait aussi inclure dans cette « gauche de la gauche », le PCF et quelques autres forces qui ne sont pas dans le viseur des tueurs de Mélenchon. Parce qu’ils ont évidemment moins dangereux… Il n’y a en effet pas que LFI qui porte un projet radicalement anticapitaliste.
    Et il faut aussi noter, et c’est positif, que le PS ne se réduit pas aux sociaux-démocrates ou aux sociaux-libéraux, mais que la ligne incarnée par O. Faure s’inscrit dans une démarche unitaire de rupture avec le néolibéralisme. Ses relations avec LFI se sont détériorées (pas toujours de sa faute) et il faudra retrouver les voies de l’union si la gauche veut ne pas perdre l’élection présidentielle de 2027. Je ne dirai donc pas que « la gauche radicale (…) est la seule réelle force de contestation du système libéral », car heureusement d’autres forces existent pour mener ce combat. Mais bien sûr, LFI est « d’autre part, indispensable à une véritable alternance. » C’est bien pourquoi la meute des oligarques médiatiques s’acharne contre JLM.

  4. Maurice Amaraggi dit :

    Ce qui est écrit dans le livre est ici passé sous silence. Pourquoi?

    1. Hugues Le Paige dit :

      C’est très simple et c’est écrit dans le texte : je n’ai pas encore lu le livre. Le sujet de ce billet n’est d’ailleurs pas le livre lui-même mais sa médiatisation et plus largement le lynchage médiatique de Jean Luc Mélenchon.

      1. maurice amaraggi dit :

        il ne s’agit pas de lynchage mais d’une couverture qui suit la parution de ce livre dont le contenu ne semble pas démenti. Il ne suffit pas d’écrire que Mélenchon n’est pas antisémite pour qu’il en soit ainsi. Ses référence à Rothschild sont odieuses et font partie d’un vieil arsenal antisémite destiné à séduire l’électorat des banlieues.

  5. Franco Carminati dit :

    Merci pour ce billet qui met bien en évidence les partis pris et traitements tendancieux des médias dominants.
    J’ajouterais les quelques réflexions suivantes.
    Concernant le constat que « Désormais, en France, le pluralisme médiatique est mourant. », on pourrait sans problème l’étendre à la Belgique et nombre d’autres pays.
    Concernant les effets du matraquage médiatique, je me souviens de campagnes médiatiques du même acabit avant le référendum français sur le « traité constitutionnel » en 2005 : elles m’ont semblé produire finalement l’effet inverse tant elles étaient également outrancières ; je ne serais donc que modérément inquiet dans ce cas-ci. Mais cela aiderait bien entendu que la communication de LFI/Mélenchon soit quelque peu revue.
    Enfin, je modèrerais mes attentes en cas d’élection de ce groupe ; pour éviter de tomber de haut, les cadres mis en place pour corseter les politiques étant ce qu’ils sont.

    1. Hugues Le Paige dit :

      Je partage totalement ces remarques.

  6. Julie Paratian dit :

    Merci Hughes de cette analyse que je vais m’empresser de partager

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