« Dans la manière dont il a mené la réforme des pensions, le pouvoir français a simplement oublié un fait colossal : la crise de 2008 » : c’est le sociologue du travail, Henri Vacquin qui le note dans « Le Monde ». Et Henri Vaquin, qui est par ailleurs souvent intervenu pour débloquer des conflits , ajoute cet élément d’analyse essentiel : « Après trente ans de mutation du travail et de l’emploi, vécus avec fatalisme, cette crise a suscité dans l’opinion, à côté d’un sentiment d’injustice, un sentiment d’immoralité des valeurs qui ont porté l’ultralibéralisme : la rapacité au gain comme moteur de l’histoire, l’individu au détriment de l’appartenance collective et dans l’entreprise, le supposé contrat qui met a égalité de dignité le dirigeant et le dirigé ».
Un autre penseur, parmi les plus féconds de la sociologie contemporaine, Louis Chauvel, ajoute une autre dimension fondamentale du conflit actuel. Il s’exprime, également dans le Monde et déjà hier aussi dans « Le Soir », notamment sur les inégalités générationnelles qui sont au centre de ses travaux. Chauvel note que l’intervention des jeunes dans le mouvement contre la réforme des retraites exprime un malaise qui va bien au-delà. Mais la société, ajoute-t-il, semble se tromper de priorité. C’est le retour au plein emploi, la résorption de la précarité et la revalorisation des diplômes qui devraient être les objectifs premiers plutôt que le maintien de la retraite à 60 ans qui est insoutenable à long terme. Et il insiste sur cette injustice dramatique et riche d’autres conflits : « les sexagénaires n’ont jamais été aussi riches alors que les jeunes qui arrivent sur le marché du travail n’ont jamais eu un niveau de vie aussi bas. Les jeunes générations sont aujourd’hui la variable d’ajustement de l’Etat social, ajoute Chauvel.
Et il est vrai qu’après avoir subi le chômage de masse, ces mêmes jeunes verront leurs pensions menacées. Double injustice qui laissera des traces profondes et provoquera d’autres révoltes. Quelle que soit l’issue du conflit, l’adoption assurée de la réforme, le pourrissement du mouvement ou sa division, la défaite syndicale, autant de cartes que joue le gouvernement, nul ne peut en prédire les conséquences. Sauf que, comme le note Louis Chauvel, la France est aujourd’hui marquée par une situation sinon prérévolutionnaire du mois très révoltée.