Dans une campagne dont on a souligné la vacuité et l’absence de débats de fond, on ne saurait reprocher au PTB de tenter de l’animer et de le nourrir sur le plan de la critique politique et idéologique. Et le livre-programme « Priorités de gauche, pistes rouges pour sortie de crise », paru chez Aden et signé par Peter Mertens et Raoul Hedebouw, deux des principaux responsables du parti répond à cette ambition. Cela mérite d’être souligné mais il faudra aussi en noter les limites et les ambiguïtés.
[[Merci au PTB, le cas échéant, de ne pas se limiter à citer seulement ces premières lignes mais de rapporter également l’esprit des critiques et d es réserves qui suivent !]]
Sur les constats critiques de l’état de la société capitaliste, il y a peu à redire. Sur la faillite du libéralisme, l’augmentation des inégalités, les atteintes à la sécurité sociale, la politique fiscale totalement inégalitaire, le gaspillage des ressources naturelles, la course folle au profit ou le non respect des droits individuels et collectifs de l’immense majorité des citoyens du monde d’ici et d’ailleurs, on ne peut que partager les analyses de « Priorités de gauche ». Il faut ajouter que la démonstration pédagogique est de qualité et s’appuie toujours sur des cas concrets, humains et vécus même si elle emprunte parfois au récit édifiant. De même que tout homme ou femme de gauche (pour qui, en disant vite, le critère d’une société plus égalitaire est le « point fixe ») ne pourra qu’approuver un certain nombre de propositions concrètes visant précisément à lutter contre les inégalités. Je cite en vrac la création d’une banque publique, l’instauration d’un impôt sur la fortune, l’adoption du modèle Kiwi (néo-zélandais) en matière de soins de santé, ou encore un moratoire sur les licenciements dans les entreprises bénéficiaires, etc. Tout cela n’est pas rien et est d’ailleurs partagé par un certain nombre de mouvements sociaux, syndicaux ou associatifs. On regrettera au passage l’absence de toute analyse et revendication à propos de la lutte des sans-papiers mais cela figure certainement par ailleurs dans le programme du PTB.
Après les accords, la gêne
D’où vient alors un certain sentiment de gêne, qu’est ce qui suscite une critique qui peut être parfois sévère ? Un détail sémantique d’abord. Mais les mots ont leur importance et sont toujours porteurs de sens. Le PTB, dans ce livre comme dans l’ensemble de sa propagande parle toujours des « gens ». Son slogan fondateur est d’ailleurs bien « pour les gens d’abord ». Pas pour les citoyens, les électeurs, les militants, les travailleurs, les hommes ou les femmes : non pour les « gens », un terme générique qui ne définit pas les appartenances collectives des individus mais qui est le plus souvent utilisé par la bourgeoisie dans un sens paternaliste sinon méprisant.
« Les petites gens », est d’ailleurs l’expression typique utilisée dans les propos de l’ancien économiste en chef de la BBL rapportés par les auteurs du livre . [[Voir page 158 de l’ouvrage]]
Autre « détail » qui concerne plus la campagne électorale du PTB que l’ouvrage en question : la dénonciation du « cirque politique ». Coiffer les principaux dirigeants des partis traditionnels d’un nez rouge de clown peut certes faire sourire mais avec quelles ambiguïtés ? La dénonciation de la politique comme « cirque » appartient historiquement aux mouvements populistes, poujadistes, ou d’extrême-droite. Les responsables politiques qui font des choix que nous combattons ne le font pas parce qu’ils sont des clowns mais en raison de la défense d’une certaine conception de la société. Et assimiler la politique (même celle menée par des adversaires ou des ennemis) à un cirque risque d’entraîner une disqualification du et de la politique en tant que tels.
…et les désaccords sur un socialisme « pas tout à fait réussi »
Au-delà de ces questions sémantiques chargées de sens politique, le livre-programme du PTB pose d’autres problèmes. Jadis marxiste-léniniste dans sa version la plus stalinienne et sectaire [[Pour être de bon ton, je dois préciser que je suis issu d’une une culture politique antistalinienne, proche de la mouvance trotskyste (sans avoir jamais appartenu à la Ive internationale) et que je me suis souvent heurté à ce courant.]], le parti a changé nous disent ses dirigeants. Prenons acte de cette mue idéologique basée sur le modèle du parti frère hollandais qui lui s’est transformé en parti socialiste ( SP) rejetant la référence même au communisme et ne négligeant pas les accents populistes de gauche. Le PTB s’est lui aussi ouvert et a abandonné, en tous cas dans son expression publique, l’essentiel de ses références idéologiques passées. Il vise à occuper un espace qui pourrait être non négligeable à la gauche du PS et d’Ecolo. Et il est vrai que pour la plupart des jeunes militants qu’il mobilise efficacement ces débats appartiennent au passé. Mais le présent d’un parti peut-il exister hors de sa propre histoire ? Dans son analyse de la social-démocratie par exemple, on voit mal le PTB expliquer l’évolution du PS sans faire référence à ses origines et à son évolution historique et idéologique. Et d’une certaine manière le PTB, lui-même, ne fait pas les comptes avec sa propre histoire : il a certes changé mais comment et pourquoi ? Quelles sont les raisons profondes de cette mutation idéologique, hors des questions tactiques ou de circonstances ? Ce malaise se ressent à la lecture des « Priorités à gauche ». Hors la dénonciation -partagée- des méfaits du capitalisme, quel modèle de société nous propose le PTB ? Il nous suggère – pas avant la page 178 ! – et en une phrase- de construire des «lendemains socialistes »…sans nous préciser ce qu’il entend par là !
De même, Marx fait une apparition quasi anecdotique page 138 sans nous annoncer quel usage on entend faire de son apport. Et plus inquiétant pour le réel dessein politique du PTB: quand il nous explique (page 222) que tous les modèles socio-économiques ont mis du temps à s’imposer, les auteurs décrètent que « ce serait faire preuve d’une grande étroitesse d’esprit que de décrier le socialisme parce que les premières tentatives n’ont pas tout à fait réussi » (souligné par nous).
« Pas tout à fait réussi » ? Qu’est-ce qui n’a pas tout à fait réussi : le modèle soviétique, albanais, cubain ? Le capitalo-communisme chinois ? Il me semble que, pour le coup, et sans abuser de l’esprit polémique, vous nous devez à nous les « gens », quelques explications sur votre projet de société et sur le bilan que vous tirez des expériences du « socialisme réel ». Sans quoi comment porter crédit et à votre « changement » et à vos propositions pour l’avenir ? Il ne s’agit pas ici d’ « ergotage intellectuel » mais d’une question fondamentale pour le développement d’un projet politique de contestation de l’ordre actuel. Vous appelez à voter pour vos candidats au nom de vos critiques- que l’on peut largement partager- du système capitaliste. Vous répétez durant cette campagne « ne vaut-il pas mieux un parti qui grandit à la gauche du PS et d’Ecolo? » ou encore qu’ « un premier élu PTB apporterait beaucoup plus aux travailleurs qu’un 35e élu PS ». Pourquoi pas ? La constitution d’une telle force, bien qu’elle n’ait jamais abouti en Belgique pour des raisons qui mériteraient un autre débat, peut avoir du sens. Mais pour construire quel rapport de force politique et avec qui ? Et pour quel projet de fond ? Voilà les questions préalables.
A sa sortie, vous m’aviez aimablement invité à réagir à votre livre en quelques lignes afin de participer à son « lancement ». Je vous avais répondu alors que je ne souhaitais pas contribuer à la promotion d’un ouvrage que je ne connaissais pas mais que je prendrais le temps de le lire attentivement et de vous faire part de mes remarques sans a priori mais aussi sans complaisance aucune. Pour des raisons évidentes, je souhaitais vous les transmettre avant les élections du 7 juin. C’est chose faite. Je serai ravi de lire votre réaction et de poursuivre le débat auquel vous m’avez invité et qui doit évidemment se poursuivre bien au-delà des échéances électorales.