Il y a une qualité que l’on ne peut nier à François Hollande, c’est l’obstination. Le président a beau plonger dans les sondages et devenir le chef d’État le plus impopulaire de l’histoire de la Ve République, être submergé par la rogne et la grogne d’une France qui retrouve le chemin des Jacqueries et critiqué y compris dans son propre camp, rien n’y fait. Contre vents et marées, « Maintenir le cap » demeure le seul mot d’ordre de l’Elysée. En dépit de toutes les oppositions (souvent les plus contradictoires) et malgré une absence totale de frémissement économique, François Hollande s’en tient à son « socialisme de l’offre » et à la rigueur budgétaire drastique qui continue de miner les économies européennes. Les huées du 11 novembre étaient le fait de quelques militants d’une droite radicalisée ou de l’extrême droite mais elles résonnaient comme le symbole d’une crise tous azimuts. On reprochait au chef de l’état de manquer de vision, son discours est désormais inaudible et son projet illisible. Il est entré dans ce cercle infernal : quoi qu’il fasse ou dise se retourne contre lui. Un président contesté de toutes parts, un premier ministre qui n’a jamais pu jouer son rôle de paratonnerre et dont un député socialiste demandait cette semaine le remplacement d’urgence, sans oublier un PS tétanisé et totalement aux abonnés absents : le tableau est apocalyptique.
La conjonction de ces éléments est terrifiante pour la gauche : dans des pans entiers de la société française le mécontentement s’est ajouté à la déception, la colère se nourrit du désespoir. C’est vrai, en particulier, pour cette classe moyenne qui est la base électorale du PS et qui se sent en perdition. François Hollande avait promis une réforme fiscale qui produirait plus d’égalité et de redistribution – il en avait une dans les cartons de son programme présidentiel- mas il a choisi l’addition de mesures fiscales sans véritable horizon : un million de foyers modestes sont devenus redevables de l’impôt sur le revenu ! Fiscalité ressentie comme injuste et jugée inefficace : l’exaspération s’est répandue dans l’hexagone. Elle ne se traduit pas par un grand mouvement social national mais par des révoltes fragmentées, parcellisées, décentralisées et…confuses. N’a-t-on pas vu en Bretagne les désormais fameux « bonnets rouges » manifester aux côtés de patrons qui venaient de licencier certains d‘entre eux. Loin des corps intermédiaires abandonnés à leur sort, les corporations les plus diverses manifestent pour des objectifs particuliers mais sur la base commune d’un ras le bol fiscal. Petits patrons, artisans, agriculteurs, transporteurs, enseignants, jusqu’aux gérants de centres équestres qui occupent les places des villes et des villages pour refuser pêle-mêle : les écotaxes, la hausse de la TVA ou la réforme des rythmes scolaires. Et, ces derniers jours, comme par extension du refus de l’autorité de l’état, des citoyens s’en prennent aux radars qui contrôlent la vitesse des automobiles. L’accumulation des frondes incontrôlées traduit un état de crise profond dont on ne peut encore mesurer toutes les conséquences.
Si la gauche est dans les cordes, la droite républicaine (qui l’est de moins en moins) n’est pas véritablement en meilleur état. Elle ne profite pas du rejet de la majorité, la cote de popularité de ses dirigeants empêtrés dans les conflits personnels n’est guère plus brillante que celle des gouvernants, et son projet se résume en une course désespérée derrière l’extrême droite. Elle tente certes de mettre de l’huile sur le feu du mécontentement mais elle n’est pas en mesure de le récupérer politiquement. Tout profit pour Marine Le Pen qui engrange les fruits du désespoir social et de la démission politique. Au-delà des échéances électorales qui ne pourront que lui être favorables, un courant traverse la France en profondeur. La droite radicalisée et l’extrême droite sont en passe de gagner la bataille culturelle, celle qui conditionne à terme les victoires électorales et consacre l’hégémonie idéologique. Les regains d’expressions racistes en sont un autre signe. Pour la gauche, le temps d’une remise en question fondamentale est arrivé. Le PS vit la fin d’un cycle qui réveille les souvenirs douloureux d’une SFIO agonisante. Mais la gauche radicale n’est guère plus audible : les querelles électoral(istes) entre le parti de Mélenchon et le PCF achèvent de discréditer le Front de Gauche. Certes, de son côté, François Hollande finira bien par opter pour un changement sinon de cap au moins de premier ministre mais sans doute pas avant des élections tant redoutées. L’avenir de la gauche est une autre histoire.