A propos de l’ ouvrage « Il était une fois la production » (Editions Hémisphère) de Jacques Bidou avec la complicité de Marianne Dumoulin
Entre le parcours du combattant et la quête du Graal, c’est selon les jours et les heures. Mais voilà comment on pourrait résumer une vie consacrée à la création de films et à la révélation de cinéastes à travers le sentier long et escarpé de la production. Jacques Bidou – avec la complicité de sa collaboratrice et compagne Marianne Dumoulin – en fait le récit dans « Il était une fois la production »[1].
Bidou, c’est d’abord la génération emblématique du cinéma qui émerge en 1968, date à laquelle il intègre la première promotion de l’INSAS à Bruxelles qui aligne alors, comme enseignants, les plus grands noms du cinéma contemporain. 68 : engagement, militance et cinéma, rencontre avec Chris Marker, 10 ans de production dans la sphère du Parti Communiste ( notamment avec Unicité). Enfin, et pour toute une vie, la création de JBA production en 1987. Jacques Bidou va d’abord être un des principaux acteurs de la renaissance du documentaire ( on regrettera qu’il ne s’y appesantisse pas davantage dans ce livre) avec la complicité des responsables de création dans des chaînes comme Arte, ZDF, Channel 4 et quelques autres partenaires publics européens. C’est l’époque du légendaire triumvirat des Thierry Garrel, Eckart Stein et Alan Fountain, qui, hors des « grilles » et des contraintes, fondent une télévision de sens et de création pour les réalisateurs ET les spectateurs, une télévision qui ne se conçoit pas sans l’apport déterminant de la production indépendante qui, en Europe, est largement issue de 68. Bidou en est l’un des exemples les plus accomplis. A partir des années 80, le cinéma militant a fait son temps et montré ses limites, les nouveaux producteurs concilient engagement et écriture forte : le point de vue s’exprime par le regard et le langage d’un auteur. Le documentaire est à nouveau cinéma. Cette télévision basculera dans la fin des années 90 sous le rouleau compresseur de l’ultra libéralisme dominant. Mais ceci est une autre histoire.
En 1987, Bidou avait tracé la voie avec une production audacieuse et innovante : les « Chroniques sud-africaines ». De tout jeunes cinéastes sud-africains issus de différentes communautés portent leurs regards documentaires sur les réalités d’un système d’oppression qu’ils ont eux-mêmes vécu[2]. Les films sont saisissants d’expression et d’intelligence. Avec le recul, ils représentent un moment fondateur d’une nouvelle production documentaire.
Faire émerger les premiers films et révéler à eux-mêmes – faire naître a-t-on envie de dire- de nouveaux cinéastes : telle pourrait être la vocation qui a marqué le parcours de Jacques Bidou ( mais aussi de toute une école de la production indépendante) qui est aussi, et ce n’est pas le hasard, un formateur exceptionnel. Le bilan chiffré de trente-cinq ans de production de JBA est impressionnant : 114 films ( 72 documentaires et 42 longs-métrages) issus principalement des pays du Sud ( Rithy Pan, Patricio Guzman, Annemarie Jacir, Raoul Peck, Pablo Agüro ou Massoud Bakhshi pour ne citer qu’eux). Mais aussi pour la moitié, des premiers films qui arriveront dans les plus grands festivals.
Il ne s’en cache pas : Bidou a la nostalgie d’une époque qui n’avait pas encore digitalisé les échanges et virtualisé les rendez-vous. La chaleur humaine manque. Pour en retrouver la trace et nous entrainer dans ses pas, Jacques Bidou prend donc comme fil conducteur la production du film Yalda la nuit du pardon du cinéaste iranien depuis sa naissance jusqu’à sa consécration au Festival de Sundance. A travers toutes les étapes de sa construction jusqu’à la « dépossession la plus frontale, violente et bien normale (qui) consiste à rendre le film à son auteur » écrit Bidou, lucidement mais non sans arrachement. Que de moments incertains, tour à tour désespérants et lumineux, doux et violents, faits à la fois de conflits et de complicités, de petites défaites et de grandes victoires mais toujours avec l’envie du film à faire naître et le respect absolu de son auteur. Alors, le producteur n’est jamais le démiurge qui porte le financement sur le plateau mais celui qui se tient à la croisée du défricheur et de l’accoucheur.
L’auteur-producteur ouvre son récit par la fermeture du compte en banque dédié au film de Massoud. La banque obéit aux pressions américaines qui veulent empêcher toute relation économique avec l’Iran. Ce n’est que le début d’une longue aventure dont on laissera le lecteur découvrir les étapes parfois surprenantes et goguenardes où les incompréhensions face aux arcanes de la société iranienne le disputent aux affres du choix d’un premier rôle ou aux incompétences d’un coproducteur à l’égo surdimensionné. La décision d’entamer un parcours de 4 ou 5 ans avec un réalisateur et un film à venir, la complexité et la fragilité du financement, les avanies du tournage, les doutes du montage, les surprises de la post-production : oui, la production telle que l’a conçue et conduite Jacques Bidou est un combat ardu mais noble. Entre analyses, anecdotes et cris du cœur, il est bien qu’il ait décidé de se mettre à l’heure de la transmission qui a toujours été au centre de ses préoccupations dans son autre vocation d’infatigable formateur.[3] Son « point de vue » est toujours resté celui de l’artisan d’une structure minimaliste. « Il était une fois la production » est tout à la fois une rétrospective exemplaire et généreuse, une mise en garde faite de doutes et de certitudes et un appel à poursuivre la route…
[1] Hémisphères Editions, Collection Ciné Cinéma dirigée par Frédéric Sojcher, Paris, 2021,120 p., 15,00 €
[2] Les 12 jeunes cinéastes sont encadrés par deux grands réalisateurs André Van In et Jean Loïc Portron ainsi que la monteuse Aurélie Ricard, dans la suite du travail de l’Atelier Varan à Johannesburg.
[3] Au cours des dernières décennies, il est peu de jeunes productrices et producteurs qui ne soient passés par les ateliers Varan, la Fémis, l’EAVE, Produire en région, Eurodoc ou Docmed où Bidou a éveiller ou renforces des vocations qui font les films d’aujourd’hui.