La disparition de Robert Wangermée : On l’appelait Monsieur

On l’appelait Monsieur et il ne lui serait jamais arrivé de nous adresser la parole autrement. Il y avait dans ce « Monsieur » à la fois la distance, l’autorité et la considération. Et, selon, les interlocuteurs, elle était une façon pour Robert Wangermée d’initier une complicité intellectuelle. D’autres évoqueront le musicologue, l’homme de culture, l’initiateur de l’éducation aux médias, qu’il soit permis à un journaliste qui a travaillé durant quinze années sous son regard et sa houlette de rendre hommage à l’homme du service public. Administrateur général de la RTB(F) de 1960 à 1984, Robert Wangermée a fait, comme le disaient ses égaux européens, de la radiotélévision belge la plus « service public des services publics ». Fondateur du « Troisième Programme » — l’ancêtre de « Musique 3 » où la parole avait autant d’importance que la musique », Robert Wangermée accordait aussi une importance sourcilleuse à l’information qu’il voulait « dérangeante ». Autre temps, autres mœurs… À l’époque, l’administrateur général devait se battre pour protéger l’indépendance d’une radiotélévision d’un interventionnisme politique (ce n’était pas encore le marché qui dictait sa loi à la RTBF) qui entendait dicter sa loi et imposer ses hommes. Wangermée était socialiste : il a toujours défendu « ses » journalistes de la vindicte de certains inquisiteurs du Boulevard de l’Empereur quitte à les semoncer en interne.

La Wangermerie…

Il savait réunir des talents divers et de différentes générations. Henri Mordant (l’inventeur de l’information socio-économique), Robert Stéphane, Pierre Delrock, Marc Moulin ou René-Philippe Dawant qui ont fait alors de la « Wangermerie », comme l’appelait Armand Bachelier, autre figure tutélaire de cette RTBF-là, un lieu de création et d’inventivité sans pareil.

Un peu avant et après 1968, nous étions un certain nombre d’étudiants en journalisme à l’ULB à suivre ses cours de musicologie. D’une certaine manière, et dans le climat contestataire de l’époque, c’est lui qui a voulu nous recruter pour apporter du sang neuf à la RTBF. Il en a assumé les conséquences parfois difficiles et a permis non seulement un renouvellement de la radiotélévision publique, mais a aussi instauré un véritable débat critique au sein même de l’institution. C’est aussi pour cela que son autorité qui naturellement primait était reconnue et respectée. La chose, dans ce milieu, n’est pas si fréquente.

Ces dernières années encore, Robert Wangermée qui savait ce que le devoir de réserve veut dire, ne se privait pas dans quelques propos ironiques d’exprimer son opinion (très) critique sur l’évolution d’un service public qu’il avait du mal à reconnaître. Il est assez piquant de voir aujourd’hui certains de ses successeurs tenter de capter son héritage. Avec sa moue caractéristique, il en eût bien souri. Certes, sa radiotélévision était celle du XXe siècle, mais les principes et les règles qu’il défendait pourraient encore inspirer celle de 2019. En cela aussi, Robert Wangermée demeurera un grand « Monsieur ».

 

PS Ce texte est paru sur le site du Vif de ce 24/08/19

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10 réponses à La disparition de Robert Wangermée : On l’appelait Monsieur

  1. J’ai eu l’honneur, tout jeune, de siéger sous la présidence de Robert Wangermée dans la première Commission de l’Audiovisuel, ancêtre du CSA. Nous y avions discuté notamment de l’introduction de la publicité « non-commerciale » au profit de la production interne et de la création, en recevant Robert Stéphane.

    C’était le moment où tout le paysage audiovisuel entamait une lente bascule, le début de la globalisation et de la mercantilisation des médias en Europe. Un moment passionnant, des débats d’une qualité dont le CSA actuel peut toujours s’inspirer.

    Robert Wangermée, comme Roger Lallemand, m’a toujours impressionné, instruit, inspiré.

    Il avait une forme de flegme britannique, de patience et d’écoute actives, que l’on savait lesté par son immense culture, par sa large expérience, et surtout par ses valeurs qu’il n’imposait jamais mais exprimait avec subtilité.

    Il avait apporté à la RTBF la vision globale d’une information « dérangeante » pour éclairer les citoyens-auditeurs sur les grands enjeux de société. Ce n’est pas un hasard que tant de talents documentaires et journalistiques se soient rassemblés au sein du service public belge francophone sous sa direction générale.

    Nous partagions certainement aussi la passion du média radio.

    La fiction me semblait toutefois plus éloignée de ses préoccupations, comme relevant du Cinéma plus que de la télé.

    Confronté à la question de la vente par la RTBF de « Strip Tease » sans considération pour les auteurs, je venais de penser à lui quand la Première m’a appris son décès.

    Il serait très utile de faire, par une journée d’étude du CSA par exemple, le bilan de son héritage dans les médias belges et européens, et d’ancrer ainsi sa pensée de service public, généreuse pour les publics, exigeante, audacieuse, et toujours pertinente, dans les enjeux d’aujourd’hui et de demain.

    Au revoir donc, Monsieur Wangermée

  2. Henri Roanne-Rosenblatt dit :

    Ce fut un honneur et une chance de travailler sous l’autorité de cet homme d’une grande intelligence et d’une totale indépendance d’esprit. Sous son aspect austère, l’homme – timide- pouvait être très chaleureux. Il avait fait de notre maison un outil de questionnement pour le citoyen.

    Henri Roanne -Rosenblatt

  3. Marie-Hélène Rabier dit :

    Merci Hugues pour ce bel hommage!
    Toute jeune recrue RTBF, dans les années 70, contestataire et ignorante des considérations hiérarchiques autant que des conventions, je l’ai interpellé plus que vigoureusement à propos du réalisateur Maurice Beerblock qui avait des ennuis. C’était à la Ferme V où il avait eu le courage de s’aventurer.Il m’a répondu courtoisement, et ne m’en a apparemment pas tenu rigueur plus tard. Je ne me souviens plus s’il m’appelait « Madame », mais le respect intelligent qu’il portait à ses détracteurs situait d’emblée la relation à un haut niveau.

  4. eskenazi dit :

    merci Hughes d’avoir rendu hommage par cet écrit à ce grand Monsieur. J’ai été écoeurée de la manière anodine dont la RTBF(radio) en a parlé. Plus d’infos pour le décès et l’enterrement d’un ancien footballeur que pour ce patron exigeant, sérieux mais aussi efficace et respectueux de ses journalistes. Pauvre service public!

  5. Zeegers-Jourdain xavier dit :

    Monsieur  » Wang » était certainement un homme de grande culture, et un patron ( CEO comme on doit dire aujourd’hui) de talent, mais je trouve assez lassant le fait que sitôt un homme meurt, il devient remarquable, irréprochable, et il convient de le couvrir de fleurs et d’éloges, voire lui dresser une statue. Une fois qu’ils ont cassé leur pipe, les morts sont tous des braves types, chantait Georges Brassens. Même la Libre lui rend un vibrant hommage, alors que je suis assez vieux pour me souvenir que dans les années soixante et surtout septante elle tirait à boulets rouges et aspergeait au vitriol ce qu’elle nommait la « Casa Kafka » truffée de jeunes gauchistes aux discours enflammés surtout à la radio et cela dès potron minet. Certes, ce journal était alors clairement à droite (bouh! en pleine époque post soixante-huitarde, quelle erreur, quelle horreur !) et non sans bonnes raisons puisque les journalistes-militants d’alors étaient clairement engagés -voire enragés, il suffit de réécouter les archives) à gauche. Certains sont du reste, 50 ans après, toujours engagés dans la gauche radicale.

    C’est évidemment leur droit de rester dans cette mouvance, mais ce n’était pas ce que la grande majorité des auditeurs attendaient si l’on considère que le concept d’information dite dérangeante ne peut pas, ni alors ni maintenant, et quelle que soit la couleur politique, devenir un alibi, une excuse, voire un manteau d’hermine camouflant les dérapages et parti-pris idéologiques qui ne relèvent pas de l’information, mais de l’engagement unidirectionnel, de la soumission a la doxa d’une époque, très clairement engagé sociologiquement à gauche à l’époque, et maintenant hélas plutôt vers le populisme extrémiste, qui ne le voit ?

    Toute conviction est une prison disait Nietzche, et j’aurais alors aimé davantage de nuances à une époque ou les prétendus « progressistes » faisaient l’éloge de dictateurs qui avaient le bon gout de s’afficher  » à gauche » ou de mener des combats dits « honorables » mais par des moyens ultra-violents qui…les déshonoraient! Le positionnement de l’admirable professionnel qu’était Armand Bachelier, par exemple, me semblait par contraste à la fois délicieux et irréprochable avec finesse d’analyse, autodérision, humour, style, culture sans cuistrerie. Et nul ne pouvait deviner à l’entendre ses choix idéologiques dont il nous faisait grâce, cfr la campagne présidentielle française de 1974, ou il fut au sommet de son art.

    Je donne raison à Monsieur Wangermee sur le fait que les radios privées, cherchant plus le fric que l’information correcte et l’éveil des intelligences sont déplorables et qu’il faut défendre plus que jamais le service public. Je repréférerai toujours la RTBF à TF1, mais là n’est pas la question. L’important est le rapport avec la vérité, toujours si difficile, et même plus que jamais, à atteindre et qui demande du courage plus que la recherche de popularité, et donc : au diable l’infecte starisation à laquelle échappe la RTBF ( sauf De Brigode, qui devrait laisser la place à d’autres, avant de devenir un double de PPDA) . Nous n’attendons pas des avis, des engagements, mais des faits, des éléments de réflexions en toute équanimité, en refusant l’émoculture.

    L’exemple à suivre me semble avoir été théorisé par Tocqueville dans son introduction à  » De la démocratie en Amérique »: quand il écrit :  » Je crois n’avoir cédé qu’à mon insu à la tentation naturelle de faire passer l’engament avant l’analyse des faits et observations, plutôt que de plier les premiers à l’exigence qu’impose les derniers ».
    L’information dérangeante, qui est finalement un pléonasme, c’est cela et rien d’autre: accepter qu’elle puisse d’abord déranger nos propres convictions et préjugés plutôt que d’instrumentaliser l’actualité pour promouvoir nos propres postures et analyses. Etre partisan c’est avoir des parti-pris. (Exception faite de 39-45!)

    Sur ce plan là, Mr Wangermee ne fut pas irréprochable. Je le dis calmement et sans agressivité, ni critiquer sa personnalité, ne l’ayant du reste jamais fréquenté ni même rencontré. Un homme qui a la passion de la musique a forcément de la profondeur, tout comme en avait Paul Danblon, grand pédagogue enthousiaste et musicologue aussi, qui incarnait ce que le service public peut -et devrait encore- apporter de meilleur. Ou un Frédéric François et les baroudeurs de Neuf millions, ou la regrettée Francoise van de Moortele. Et même Ophélie Fontana : le fait qu’elle résiste aux sollicitations de « la-maison-d’-en-face » est à mettre à son crédit, qu’elle ne flanche surtout pas!

    Désolé d’avoir été trop long…

    Xavier Zeegers
    Retraité actif

    1. Hugues LE PAIGE dit :

      Simple remarque : je n’ai pas attendu le décès de Robert Wangermée pour lui manifester mon estime et ma gratitude pour son rôle à le tête de la RTBF. Pour le reste nous connaissons trop bien nos salutaires divergences pour y revenir ici. Tout de même une chose : Si Xavier Zeegers se range derrière Nietzche pour estimer que « toute conviction est une prison », je lui répondrai qu’il n’y pas pas d’homme – et a fortiori de journaliste- sans « point de vue ». Je cite toujours à ce propos mon vieil et regretté ami Jean Lacouture qui aimait à dire que nous « sommes faits de ce que nous avons vécu dans le ventre de notre mère jusqu’au dernier roman lu en passant pas nos expériences politiques, sociales et humaines » C’est aussi ce qui modèle notre point de vue de journaliste dont il est -heureusement- impossible de e départir…

      1. Nicole Cahen dit :

        une référence de Jean Lacouture qui me touche énormément. Merci.

      2. Zeegers-Jourdain xavier dit :

        Je répondrai ici à Mr Le Paige que sdon ami Jean Lacouture, en effet remarquable journaliste ( sans oublier son épouse et collaboratrice Simonne) et biographe ( le destin du général De Gaulle en trois volumes est devenue une référence incontournable) confirme bien le mot de Tocqueville car il a fait passer avant tout -ce qu’il a reconnu ensuite- son engagement d’un a priori de gauche lors de la « libération » de Saïgon par l’armée Nord-Vietnamienne pour une chose très positive, alors que le Viêt-Minh, puis le Viêt-Cong (mais c’est devenu pareil) a violé deux accords de paix majeurs ( ceux de Genève en 1954 et Paris en 1973) instaurant in fine une dictature qui lui semblait donc très tolérable mais sûrement beaucoup moins pour les boat-people…
        Il a aussi approuvé avec enthousiasme la prise de pouvoir des Khmers Rouges au Cambodge à la même époque, qui déboucha sur un génocide, qu’on ne peut toutefois pas lui reprocher bien entendu. Il est certes revenu sur ses dérapages ( évitables : un de ses collègues, spécialiste de la région, François Chalais, et peu favorable aux américains pourtant, ne les a pas commis) , mais le fait est avéré : il a adoubé politiquement des meneurs meurtriers. Pol Pot le fut aussi par la presse de gauche, comme longtemps Staline et Mao aussi.. ( Même d’Ormesson s’est écrié à la mort de ce dernier « qu’un phare de l’humanité s’est éteint! » mais Jean d’O était surtout un conteur il est vrai.

        Mieux vaut garder son sang-froid, une certaine réserve, se concentrer sur les faits et non ses propres fixations idéologiques ( cela vaut aussi bien pour les journalistes de droite) si on veut informer sans trop de dérapages. Cela évite aussi d’aggraver les choses, car le journaliste d’auto-opinion influence, voire même pourrit forcément le débat, et cela évite aussi accessoirement de devoir revenir à résipiscence quand il s’est planté.

        C’est bien sûr très difficile en des temps troublés, passionnants et donc passionnels, mais cette équanimité éthique et politique reste souhaitable en toutes circonstances et fait même la force du reporter tout en donnant davantage de crédit au journalisme contemporain, si malmené déjà par les mensonges et manipulations des opposants à la démocratie.

        Je reconnais qu’il est bien plus facile pour un chroniqueur pantouflard et peinard ( ce que je suis) de commenter l’actualité que d’aller sur le front des batailles, aussi je me garderai bien de faire la leçon à quiconque, mais prendre des risques et même risquer sa vie pour informer, chose admirable, ne me semble pas forcément contradictoire avec la recherche exacerbée de la vérité, si difficile soit-elle à décerner.

  6. Simone Susskind dit :

    Cher Hugues, avec retard, te dire combien j’ai apprécié ton homaage à Robert Wangerméé.
    Amitié

  7. Je vous apprécie depuis très longtemps et, une fois de plus, votre analyse claire et perspicace de la situation en Italie m’a comblée. Une question: la corruption en Italie est-elle dans la moyenne européenne et quel est le rôle de la mafia dans le succès de Salvini ?

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