Notes pour mémoire : un feuilleton épars (en 7 épisodes) publié sur le Blog-Notes de Hugues Le Paige
Reprenant des textes anciens (inédits ou publiés depuis 1986) mêlés à des analyses contemporaines et des témoignages personnels, Hugues Le Paige revisite le Mai 68 belge et international : des propositions de réflexion sur hier et pour aujourd’hui.
« Si vous voulez comprendre la jeunesse actuelle, allez voir “La Chinoise”… On est en 1967 et c’est l’invitation que fait le Premier ministre Georges Pompidou à son proche collaborateur Edouard Balladur.[1] Le film de Jean Luc Godard évoque la radicalisation d’un groupe de jeunes fascinés par la “révolution culturelle” et le “Petit livre rouge” de Mao. Rétrospectivement, on ne sait ce qui étonne — ou réjouit — le plus : la lucidité du futur président de la République féru de littérature et d’art contemporain et qui incarnera le mieux les intérêts de la bourgeoisie française ou la tête d’Edouard Balladur affrontant le langage de JLG et découvrant Anne Wiazemski et Jean Pierre Léaud en petits soldats du maoïsme. En tous cas, en choisissant Godard comme incarnation de la révolte qui naissait dans le ventre des sixties, Pompidou avait fait preuve d’une grande finesse d’analyse qu’ils étaient peu à partager dans la France de 1967.
La radicalité et l’inventivité, la révolte et la confusion politique, la création d’un nouveau langage de rupture, la fusion de la culture et de la contestation personne ne pouvait mieux les représenter que le réalisateur d’“A bout de souffle”. En 1965 déjà, “Pierrot le Fou” imprimait au cinéma un nouveau regard annonciateur des bouleversements à venir. Et pas uniquement parce que Anna Karina mimait les bombardements américains au napalm sur le Vietnam. “Pierrot le Fou”, parce qu’il cassait les codes et inventait un nouveau langage, n’était pas seulement “le plus beau film de l’histoire du cinéma français” comme l’écrit le critique Michel Cournot dans Le Nouvel Observateur, mais il était en images le signe d’une révolution culturelle. Évoquer mai 68 un demi-siècle plus tard, c’est aussi convoquer ces traces et ces racines d’une créativité de la révolte. Seuls quelques événements dans l’histoire se traduisent aussi immédiatement dans une représentation aussi forte. Se replonger dans ces prémisses justifie le plaisir d’y consacrer quelques lignes.
Les commémorations fournissent leur lot d’ouvrages et de manifestations. Des historiens, des sociologues, des philosophes apportent leur écot avec plus ou moins d’aprioris idéologiques. Les témoignages des acteurs se partagent le registre de la nostalgie, du reniement ou de l’autosatisfaction. L’anachronisme et l’instrumentalisation ne sont jamais loin. Alors me direz-vous, pourquoi participer à ce concert ?
Peut-être tout simplement pour le plaisir de partager quelques bribes vécues et confronter son propre regard d’aujourd’hui aux temps passés. J’ai été un acteur du mouvement de mai et de l’occupation de l’ULB. Bien d’autres les incarnent certainement mieux l’un et l’autre. D’autant que j’étais parmi les minoritaires d’une minorité, celle qui contestait la contestation que nous ne trouvions pas assez “politique”. Il n’empêche, j’ai participé aux différentes péripéties de cette Assemblée Libre qui charriait le pire et le meilleur et qui fut un incontestable moment de cristallisation d’une expression originale et sans précédent. J’y reviendrai, mais brièvement. Parce que de nombreux articles et publications ont déjà évoqué ou évoqueront encore cet épisode central du “Mai belge”. Personnellement, je m’attache surtout à l’ensemble d’une séquence historique que je situe entre le début des années 60 et le milieu des années 70. Bien sûr, “Mai” a cristallisé un moment de crise aigüe, mais les prémisses et les suites du mouvement sont sans doute plus importantes pour juger de l’impact réel d’un mouvement de ce type.
Pour ce mini-feuilleton publié sur le Blog-Notes, j’ai retrouvé quelques anciens textes personnels, oubliés, publiés ou inédits, que j’ai consacrés à Mai 68. En quelque sorte, rien de plus que des notes pour mémoire. Pour installer le climat, je vous proposerai dans l’épisode suivant un court extrait du film “Lumières sur l’oubli”, réalisé en 1986 et où les années 60/70 sont centrales. Un film co-réalisé avec Isabelle Christiaens et Anne De Jaer et dont les critiques de l’époque ont jugé qu’il incarnait assez bien le parcours de la “génération 68”. Ensuite, un autre bref éclairage publié en 2008[2], à l’occasion des 40 ans de 68. Enfin, entre tentatives d’analyses et témoignages autobiographiques, deux chapitres d’un livre qui n’a jamais été achevé et dont j’avais entamé l’écriture en 2003. Pour terminer par l’évocation de l’Assemblée Libre et un regard sur la presse héritière de 68.
Un puzzle incomplet et sans prétention dont il manque bien des pièces, mais qui esquisse le contour et quelques réalités subjectives d’une époque. Ici le “Je” est de rigueur même s’il peut paraître suffisant ou présomptueux. “Mai” a été marqué par cette émergence du singulier qui, dans mille contradictions, se mêlait au collectif.
Deux publications anciennes sont très précieuses pour comprendre le Mai Belge :
- Dès le 25 octobre 1969, le Courrier Hebdomadaire du CRISP (n° 419-20) publiait une analyse très fine intitulée “Le Mouvement de contestation à L’Université de Bruxelles (voir le chapitre 8 du feuilleton). Ce numéro est accessible gratuitement sur : https://www.cairn.info/resultats_recherche.php?send_search_field=Chercher&searchTerm=Mai+68+Universit%C3%A9+Libre+de+Bruxelles&searchIn=all.
- En 1990, Serge Govaert publiait « Mai 68 – C’était au temps où Bruxelles contestait’, éditions POL-HIS-Politique et Histoire (aujourd’hui De Boeck). Également une excellente et complète analyse du mouvement bruxellois, y compris dans les grandes écoles, les lycées et à la RTBF. Cet ouvrage vient heureusement de reparaitre aux Éditions Belgobelge sous le titre « Mai 68 e Belgique »
(A suivre)
Prochain épisode : 2. Les Lumières de 68
[1] Propos rapportés par la journaliste Catherine Nay dans « Le Dauphin et le Régent », p.61. On ne sait si cela a été historiquement vérifié, mais « se non e vero…. »
[2] Mais j’avoue que je ne sais plus où…