Matteo R. et Matteo S. : le nouveau Janus

Janus, dieu romain des commencements et des fins est représenté avec deux têtes qui de profil sont tournées l’une vers le passé, l’autre vers l’avenir. Aujourd’hui, les deux Matteo s’affrontent sans savoir encore lequel sera l’avenir. Mais les deux hommes sont bien les deux faces d’une même dégénérescence de la politique. Et l’un, Renzi avec son blairisme à l’italienne a bien ouvert la voie à l’autre, Salvini et son populisme d’extrême-droite.

De la fin du XXe siècle à aujourd’hui, le centre gauche lui a préparé le terrain. Les gouvernements « techniques » qu’il appuyait (de Dini à Monti) ou ceux qu’il présidait lui-même ( de Prodi à Renzi en passant par D’Alema) ont appliqué à la lettre et avec zèle l’austérité imposée par les traités européens1. La confusion idéologique, l’abandon du territoire comme lieu de la politique, l’identification du centre gauche avec les classes moyennes des grands centres urbains qui profitent de la mondialisation avec pour corollaire le détachement des classes populaires des périphéries et des campagnes ont abouti aux triomphes des populismes des Cinque Stelle et de la Lega. Et Renzi lui-même a pratiqué un populisme d’état proche de celui de Macron2, jouant la carte de la « table rase » en politique, y compris dans son propre parti ou il pratiqua la « rotomazione » ( la mise à la casse) des dirigeants historiques. Renzi, comme Salvini, se sont emparés de la politique ( et de leur parti d’origine) au nom de l’anti-politique3. Ils se veulent à la fois le pouvoir et l’opposition avec la prétention d’occuper tout l’espace politique.

Et Matteo Renzi a mis en pratique une vieille figure historique de l’histoire politique italienne, le « transformisme » 4 qui consiste notamment à pratiquer la politique contraire à celle pour laquelle on a été élu, à faire siennes les positions de son adversaire pour les vider de leur contenu, le tout dans le but d’acquérir le pouvoir en tant que tel, indépendamment d’un projet politique.

Dans la crise inédite qui a pris l’allure d’une farce tragi-comique, Renzi fait la démonstration de son art en la matière. Alors que l’ancien maire de Florence fustigeait, il y a trois semaines à peine, ceux qui, dans son propre parti souhaitaient l’ouverture d’un dialogue avec les Cinque Stelle, il propose aujourd’hui au même mouvement de Di Maio un gouvernement provisoire ou même de législature ( jusqu’en 2022). Il s’agit évidemment d’empêcher des élections anticipées inévitables si la crise ouverte par Salvini va à son terme. Renzi affirme agir « dans l’intérêt de la nation » et pour, notamment, préparer un budget ( encore plus austéritaire) sans lequel l’Italie sera lourdement sanctionnée par l’Europe. Mais ses propres calculs personnels et politiciens ne sont pas étrangers à la manœuvre. Renzi qui a du démissionner de la direction du PD après sa défaite spectaculaire aux législatives de mars 2018 n’a jamais cessé d’exercer son pouvoir de nuisance sur le parti qu’il menace en permanence d’une scission. Des élections anticipées lui feraient sans doute perdre une bonne partie du groupe parlementaire qu’il contrôle toujours. De plus cet éventuel scrutin n’entre pas dans le calendrier de ses projets de formation d’un nouveau « sujet politique », un « Parti de la Nation », de type macroniste. Renzi est donc passé au-dessus de la tête du secrétaire général du PD, Nicola Zingaretti qui, lui, s’était prononcé pour des élections anticipées immédiates et a entamé son rapprochement en direction des protégés de Beppe Grillo dont il était, il y a quelques jours encore, l’ennemi honni. Le spectacle que donnent les protagonistes de cette crise est désolant. Quelle que soit son identité partisane — Salvini, Renzi, Di Maio — le vainqueur sera le populisme sous l’une de ses formes.

L’incertitude est totale. Aucun renversement d’alliance n’est à exclure. Salvini a fait un semblant de marche arrière en direction de ses (ex) partenaires, après s’être retrouvé face à une majorité alternative au parlement.

Et les ministres de la Lega n’ont toujours pas démissionné malgré la volonté de leur leader de voter la défiance. Di Maio veut à tout prix éviter des élections qui pourraient entraîner sa disparition politique. Renzi manigance. La gauche est absente. Et le sera encore tragiquement en cas d’élections. Mardi prochain, le Premier ministre Conte devrait demander la confiance au Sénat. Mais comme le dit encore Salvini avec un demi-sourire « tout est possible ». L’Italie est à nouveau le laboratoire politique de l’Europe, mais pour le pire.

1Avec quelques nuances pour le premier gouvernement Prodi

2Dont il fut, à ce niveau, un prédécesseur et peut-être même un inspirateur et non pas un suiveur, comme on le croit souvent.

3Lire à ce sujet, l’éditorial du rédacteur en chef de l’Espresso, Marco Damilano, qui sort ce 18 août : Salvini e Renzi, i due Mattei. Anzi uno solo: allo specchio

4Le transformisme politique a été illustré et pratiqué par Giovanni Giolitti ( 1842 — 1928).

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6 réponses à Matteo R. et Matteo S. : le nouveau Janus

  1. marc molitor dit :

    Cher Hugues,
    Personnellement je n’ai jamais aimé Renzi, pour plusieurs des raisons que tu évoques

    Mais cette fois-ci, je pense qu’il a raison de vouloir faire barrage à Salvini en faisant alliance avec le M55, même si c’est une volte face de sa part.

    il y a suffisamment de moments historiques où la division de la « gauche » et du centre a coûté l’arrivée au pouvoir d’une majorité absolue de droite et d’extrême droite qui a fait d’incommensurables dégâts. Qu’on pense à Orban, à d’autres, ou plus loin dans l’histoire à de sinistres précédents.

    Je ne vois pas pourquoi il faudrait aller aux élections tout de suite et ainsi suivre l’agenda dicté par Salvini, en rupture de tous les accords et conventions. Quelle prime accordée à celui qui ne respecte rien ! Et au gouvernement par les sondages

    je pense qu’il faut tout faire pour empêcher Salvini d’arriver au pouvoir avec une majorité absolue. Il sera trop tard pour pleurer après lorsqu’avec cette majorité il aura modifié la constitution, les libertsé, la magistrature, les medias et d’autres rouages encore…

    J’ai lu l’interview d’un historien italien qui condamnait vivement une coalition PD-M55 comme pire que tout, souhaitait des élections et prônait un vaste front électoral gauche-centre proeuropéen à opposer à Salvini … Est-il inconscient ? Bonne chance…

    Si une alliance PD – M55 est nécessaire , ne faut-il pas la faire? Mais pas avec Renzi comme représentant principal du PD , et avec un programme clair et marqué sur des points essentiels, justement pour éviter des dérives à la Renzi … (ce qui au passage le prendrait aussi à son propre jeu).

    Tu connais évidement mieux l’Italie que moi et peut-être que je me trompe. Mais intuitivement ma première réaction, très forte, a été : « Il a raison… »

    J’aurais préféré qu’un autre que lui le dise, mais peut-être qu’une telle volte face, justement,
    est le signe d’une certaine authenticité chez quelqu’un qui n’en a pas trop montré jusqu’ici

    Bien à toi

    Marc Molitor

    1. Hugues LE PAIGE dit :

      Cher Marc,
      Merci pour cette contribution. Oui, le dilemme existe et il est quasi inextricable…en raison notamment de la politique menée par Renzi ( et du PD avec ou sans lui) depuis de nombreuses années. Aller aux élections anticipées, c’est effectivement permettre la victoire de Salvini avec tous les dangers que cela représente. Les empêcher par des accords contre-natures et incohérents, c’est aussi lui assurer un boulevard lors du prochain scrutin ordinaire. Et Salvini ne se privera pas de hurler »au coup d’état rampant organisé par ceux qui refusent de donner la parle au peuple et sont accrochés à leurs positions de pouvoir ». Par ailleurs, on ne mesure pas à l’étranger le fossé qui sépare les Cinque Stelle et le PD, ni la violence des insultes et des dénonciations réciproques. Di Maio veut se sauver à tout prix et Renzi est très pressé de rependre les rênes du pouvoir. On voit mal quel « programme commun » est possible. Renzi a déjà dit qu’il remettrait en cause une de ses seules mesures sociales pris par le gouvernement Salvini/Di maio : le retour à un âge décent de la pension ( la dite quota 100 : 62 ans + 38 annuités de travail), sans parler du budget de « sang et de larmes » que ce gouvernement devra soumettre à l’Europe. Salvini n’aura plus qu’à paraître… Pour le reste les Cinque Stelle ont démontré en 14 mois de gouvernement leur incompétence et leur absence totale de cohérence politique.Par ailleurs, Renzi agit en marge de son propre parti en prenant des initiatives purement personnelles. Il n’est pas question ici d’une alliance de la gauche et du centre mais de calculs de circonstances. Le drame est précisément qu’ avec ou sans élections, la gauche n’existe plus en Italie ( je me permets à ce sujet de renvoyer à l’article que je publie dans le prochain numéro de Politique qui sort en septembre). Faire barrage à Salvini est indispensable mais si ce n’est pas pour proposer une alternative, il risque d’en être encore le principal bénéficiaire. je sais que ce constat est terriblement pessimiste, d’autant qu’une part de l’avenir de l’Europe se joue en Italie mais je ne vois actuellement aucune issue plus satisfaisante l’une que l’autre.

      1. Hugues LE PAIGE dit :

        PS J’ajoute que la crédbilité des Cinque Stelle est nulle. Pendant les 14 mois de gouvernement, et au fur et à mesure que Salvini modifiait en sa faveur le rapport de force interne à la majorité, le mouvement de Di Miao s’est totalement aligné sur les positions de la Lega sur le décret de sécurité, comme sur la politique migratoire. Aujourd’hui l’éventuel changement de cap des Cinque Stelle est du exclusivement à un réflexe de survie politique.

  2. quaghebeur marc dit :

    analyse toujours aussi remarquable , merci

  3. Dear Friends,
    I generally agree with Hugues.
    Matteo Renzi has always been interested in power (much more than serving the common good) and he has pursued this aim with clever opportunism and empty promises. Soon after the last political elections (not the ones for the European Parliament) he opposed a join government with M5S only because he would have lost any form of power, as M5S was, correctly so, refusing to collaborate with him in particular not with PD as such. In the beginning of the current government he opposed it just for his own convenience. Now that his alter ego Salvini (in terms of opportunism) is failing his stupid Ferragosto push attempt, Renzi sees an opportunity to gain power again. But now he is not the PD secretary anymore and his own push attempt will not succeed either. He never really believes what he is saying, so be careful, dear Marc.
    Best regards to both piero p giorgi, Gargnano 19/8/19

  4. Lidia dit :

    Je suis italienne et je partage l’analyse dei Hugues. Beaucoup d’italiens sont très préoccupés Nous sommes au point de ne plus savoir quelle est le mal mineur. Renzi est dangereux,( et Salvini est pîre) il contrôle (Renzi) la majorité de parlementaires (ils sont nommés par lui) et il ne veut pas perdre ce pouvoir. La gauche n’existe malhereusement plus.
    Ida

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